GRÈCE

L'accord UE-Turquie et le système des hotspots en Grèce

L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) présente le « retour volontaire » de la Grèce comme un projet réussi. Or, un regard sur la pratique montre que les retours dans les conditions de l'accord UE-Turquie ne sont en aucun cas volontaires. Souvent, elles ne diffèrent guère des expulsions dans leur mise en œuvre.

Valeria Hänsel est engagée au sein de Deportation Monitoring Aegean, bordermonitoring.eu et prépare son doctorat sur la reconfiguration du régime frontalier européen dans la mer Égée.

Les îles grecques ont été transformées en prisons à ciel ouvert dans le cadre de l'accord UE-Turquie. Les migrant:es provenant de pays dont le taux de reconnaissance de l'asile est faible sont placé:es dans des prisons d'expulsion sur les îles, immédiatement après la périlleuse traversée de la mer Égée. Mais l'accord UE-Turquie ne fonctionne pas comme prévu en ce qui concerne les expulsions, ces dernières ne pouvant être mises en œuvre que dans des cas isolés. C'est dans ce contexte que le programme « Assisted Voluntary Return and Integration » de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) connait un véritable essor. Cependant, les conditions de vie catastrophiques dans les camps créés par l'accord UE-Turquie ne permettent pas de parler de retour volontaire.

Les procédures d'asile sont fastidieuses et obligent les requérant:es à vivre pendant des années dans des camps de misère comme celui de Moria. En outre, à la suite de l'accord, la procédure accélérée à la frontière prévue par la loi sur l'asile réduit considérablement les taux de reconnaissance. Par conséquent, même les personnes qui correspondent exactement à la définition de réfugié de la Convention de Genève risquent d'être expulsées. Parmi celles qui acceptent un retour « volontaire », certaines ont été détenues dès leur arrivée et qui n'ont vu de l'Europe que la prison. Comme le montrent les exemples suivants, l'OIM se décharge de toute responsabilité quant au bien-être des personnes concernées, que ce soit avant, pendant ou après le soi-disant rapatriement. Résultat : les violations des droits de l'homme deviennent courantes et des demandeurs:ses de protection sont expulsé:es vers des environnements précaires.

La perspective de l’OIM

En juin 2016, l'OIM en Grèce a lancé le programme « Assisted Voluntary Return and Reintegration » (AVRR). Son objectif:  faire en sorte que les migrant:es quittent la Grèce pour retourner dans leurs pays d'origine. L'OIM a présenté une vidéo avec le slogan « Return home with safety and dignity » (retour à la maison dans la sécurité et la dignité), accompagnée d'une douce musique de piano. Sur la page d'accueil, on peut lire :  « Le projet AVRR est une activité centrale de l'OIM et a fourni une assistance vitale à des dizaines de milliers de migrant:es retournant dans leur pays d'origine chaque année, au cours des quatre dernières décennies. La décision de rentrer chez soi est 100 % volontaire et basée sur la demande du ou de la migrant:e. Le projet AVRR a été au cœur des engagements de l'OIM pour protéger les droits des migrant:es tout en s'assurant que le caractère volontaire de chaque retour englobe deux éléments, la liberté de choix et une décision informée, qui est prise sur la disponibilité d'informations opportunes, impartiales et fiables. »

AVRR bénéficie d'un soutien important de l'Union européenne : 75 % du programme est financé par le Fonds pour l'asile, la migration et l'intégration (AMIF) de l'Union européenne, le reste étant fourni par le ministère grec de l'Intérieur. En 2021, le financement a été massivement étendu dans le cadre du « Greece Crisis Response Plan » (plan de réponse à la crise grecque). Les rapatriements se poursuivront également dans le contexte du Covid 19. L'OIM annonce des retours « volontaires » vers les pays d'origine ou la Turquie, « pays tiers sûr », même pour les personnes dont la procédure d'asile est en cours. Les personnes déboutées dans le cadre de la procédure d'asile ou de l'examen d'admissibilité et qui optent pour une procédure d'appel au lieu d'un retour « volontaire » ne sont ensuite plus autorisées à s'inscrire au programme AVRR. Une mesure visant à réduire le nombre de procédures d'appel et à saper les normes juridiques.

Les chiffres laissent entendre que le programme AVRR se déroule avec succès. Selon l'OIM Grèce, 20 478 personnes ont été rapatriées de Grèce pendant la période de l'accord UE-Turquie, le programme a été réédité de juin 2016 à la fin de décembre 2020, et environ un quart (5 344 personnes) a reçu le soutien dit de réintégration après le rapatriement. Globalement, le nombre de personnes qui reviennent de cette manière dépasse largement le nombre d'expulsions : au total, 2 138 personnes ont été expulsées dans le cadre de l'accord UE-Turquie (18 mars 2016), selon les sources du HCR et de Deportation Monitoring Aegean, et 600 autres dans le cadre de l'accord bilatéral de rapatriement entre la Grèce et la Turquie. Depuis mars 2020, les expulsions sont totalement suspendues pour être graduellement remplacées par des retours « volontaires ». Le refoulement systématique et illégal, devenu de plus en plus courant depuis l'arrêt des expulsions, constitue un autre moyen de se défendre contre les migrations. La police des frontières entrave violemment l'entrée des réfugié:es et les oblige à retourner directement en Turquie. Des bateaux transportant des réfugié:es sont également repoussés des eaux grecques vers le territoire turc.

Sécurité et dignité ? Bien au contraire

En réalité, le traitement des personnes participant au programme AVRR est loin de ce qui est promis dans la vidéo citée « Sécurité et Dignité ». L'histoire de Bilisumma* en témoigne. L'OIM lui a présenté un accord de retour à signer avant son retour de Lesbos en Éthiopie. Cet accord stipule : « en cas de blessure ou de décès pendant et/ou après (...) la participation au projet de l'OIM, ni l'OIM, ni aucune autre agence ou gouvernement participant ne peut en aucun cas être tenu:e pour responsable. » Bilisumma a signé l'accord en janvier 2017 après six mois passés dans le camp de Moria, pendant lesquels sa demande d'asile n'avait même pas été enregistrée. Ce même mois, plusieurs personnes sont mortes dans les tentes enneigées de la Moria. Bilisumma a perdu tout espoir : « J'ai décidé de retourner en Éthiopie. Je sais que je pourrais être mis en prison et être torturé, mais je suis dans une prison ici et des gens meurent dans cette prison aussi. » L'OIM a laissé à la police grecque le soin de mettre en œuvre son retour « volontaire ». Cette dernière a arrêté Bilisumma et l'a emmené en ferry vers la prison de déportation d'Amygdaleza, sur le continent grec. Il décrit le processus comme suit: « La police m'a arrêté ainsi qu'un autre groupe d'hommes. Après un moment, ils ont attaché deux d'entre nous ensemble et nous ont mis sur un ferry. Nous étions tous des « retours volontaires », mais ils nous ont traités comme des voleurs. Pendant le voyage, ils ont refusé de nous donner de la nourriture. (...) Nous n'étions même pas autorisés à nous asseoir seuls sur les toilettes, si quelqu'un avait besoin d'aller aux toilettes, l'autre gars qui était attaché à lui devait entrer dans les toilettes aussi, et s'asseoir à côté. »

D'autres personnes concernées rapportent qu'après avoir signé le document, elles ont d'abord été détenues dans la prison de déportation à l'intérieur du camp de Moria avant d'être emmenées dans une prison de déportation sur le continent grec. Souvent, les personnes mises en détention consentent elles aussi à leur retour « volontaire ». Un réfugié du Nigeria, qui avait été détenu pendant trois mois depuis son arrivée à Lesbos en raison du faible taux de reconnaissance de l'asile dans son pays d'origine, se souvient : « Il y avait une agente de l'OIM. Elle est venue à la prison et nous a en quelque sorte persuadés de signer avec l'OIM pour rentrer dans notre pays. » Bashir* du Pakistan a également accepté de retourner au Pakistan. Comme Bilisumma, il a été transporté de Lesbos en Grèce continentale à Amygdaleza. L'OIM lui avait promis qu'il s'envolerait pour le Pakistan dans trois jours. Au lieu de cela, il est resté en prison pendant de nombreuses semaines sans aucune information sur ce qui allait se passer. Après six mois, il a finalement été ramené à Lesbos, où il a été détenu pendant une semaine supplémentaire, puis relâché. On a dit que le Pakistan n'avait pas accepté son rapatriement. Dans d'autres cas, des personnes amenées au Pakistan dans le cadre du programme AVRR y ont été arrêtées dès leur arrivée. Elles ont dû utiliser leur « aide à la réintégration » pour « acheter leur sortie ». Il ne leur restait donc plus rien pour un nouveau départ au Pakistan.

Bilisumma a été expulsé vers l'Éthiopie après avoir passé deux semaines dans la prison d'Amydgaleza. En tant que militant politique, il avait fait campagne pour les droits de la minorité Oromo et avait déjà été arrêté plusieurs fois par le gouvernement. À son retour, il a été immédiatement arrêté et torturé dans une prison secrète. Il a été mis en résidence surveillée au bout de deux semaines. Parallèlement, il a été menacé de la peine de mort. Depuis sa résidence surveillée, il a écrit le message suivant : « Je suis arrivé en Éthiopie il y a deux semaines, après être resté environ six heures avec ma famille, ces types (...) m'ont arrêté, j'étais (gardé) sous terre, (...), j'ai été violemment battu, je suis resté longtemps sans eau ni nourriture (...) hier matin, ils m'ont ramené chez moi... Je sais qu'ils vont me tuer après avoir terminé leur enquête (...) Suis maintenant à deux doigts de la mort, personne ne peut m'aider maintenant ! Je donnerai le numéro de téléphone de quelqu'un qui pourra vous dire quand je serai tué ! Compte les jours avant de mourir ! Je ne peux plus fuir ! Suis frustré, j'ai abandonné ! Je sais que mon passage sur terre est terminé !! » Finalement, Bilisumma a réussi à échapper à son assignation à résidence et à se cacher dans un pays voisin. Il n'a pu revenir qu'après un changement de gouvernement en Éthiopie.

Déportations et retours : vers une seule et même réalité

Le programme « Assistance Voluntary Return and Reintegration » fonctionne comme une déportation de facto selon les termes de l'accord UE-Turquie. Sur le plan statistique, cette forme de déportation est plus efficace que les déportations ordinaires. Les droits de l'homme sont gravement violés sans que les organisations impliquées, notamment l'OIM, n'assument de responsabilité légale. Associé à des mesures d'externalisation telles que l'accord UE-Turquie et d'autres accords de rapatriement, il s'avère également que le phénomène des expulsions en chaîne s'étend au domaine des programmes de retour : Après leur expulsion de Grèce vers la Turquie, les personnes concernées (à l'exception des Syrien:nes) sont systématiquement détenues dans des centres dits de renvoi. Elles ont alors le choix entre rester en prison pendant douze mois ou accepter un retour « volontaire ». Selon les rapports, les Syrien:nes sont emmené:es de force en bus depuis la Turquie, de l'autre côté de la frontière, vers la Syrie. Selon les plans de la Commission européenne, l'agence de gestion des frontières FRONTEX – qui est déjà profondément impliquée dans les refoulements systématiques aux frontières extérieures sans en être tenue légalement responsable – sera également impliquée dans la mise en œuvre des retours « volontaires » à l'avenir. FRONTEX procède déjà à des déportations. Ainsi, les deux voies d'expulsion se distinguent désormais à peine l'une de l'autre.

* Tous les noms ont été modifiés par la rédaction.