Des salles de conférence lumineuses, des bureaux au mobilier moderne, de nouveaux équipements informatiques et de formation, une porte d'entrée sécurisée par une serrure à combinaison : le « Centre tuniso-allemand pour l'emploi, la migration et la réintégration » situé dans le quartier La Fayette de la capitale Tunis, géré conjointement par l'agence allemande de coopération internationale (GIZ) et le gouvernement tunisien, dégage le charme d'un bureau allemand. Le ministère tunisien du travail semble attacher une grande importance à ce centre, puisqu'il est situé au rez-de-chaussée du siège de l'ANETI (Agence nationale pour l'emploi et le travail indépendant), au centre de la ville.
Cependant, le bilan de l'institution vanté par la GIZ, fondée en 2017 et financée depuis par le gouvernement allemand à hauteur de 575 000 euros par an, ne doit en aucun cas être pris pour argent comptant. En effet, il suffit de jeter un coup d'œil dans les coulisses pour constater que les chiffres présentés par la GIZ sont à prendre avec des pincettes. Alors que la manière exacte dont ils sont collectés reste opaque, la GIZ ne peut fournir d'informations convaincantes sur la durabilité et la durée des emplois qu'elle crée. Le Centre fait donc aussi l'objet de vives critiques de la part d'ancien:nes employé:es de la GIZ et de membres du Bundestag allemand.
Impact difficilement mesurable
Selon un porte-parole de la GIZ, la tâche principale de la structure est d'informer les personnes en Tunisie « individuellement sur les possibilités d'emploi sur place », de présenter « les possibilités et les conditions préalables à la migration régulière », de mettre en garde contre les risques de la migration irrégulière et d'offrir aux demandeur:ses d'emploi tunisien:nes des mesures de conseil et de qualification visant à améliorer leurs chances sur le marché du travail en Tunisie. Autre objectif poursuivi par le gouvernement fédéral et la GIZ pour cette institution, également appelée « Centre de conseil en matière de migration » : soutenir les « rapatrié:es » - c'est-à-dire, en général, les personnes ayant été expulsées d'Europe ou qui sont parties « volontairement » - dans leur « réintégration sociale et économique » et ainsi leur ouvrir des « perspectives » dans leur pays d'origine.
Le projet est mis en œuvre et financé dans le cadre du programme « Perspektive Heimat » lancé en 2017, à travers lequel le ministère fédéral du Développement économique et de la Coopération (BMZ) et la GIZ entendent « lutter contre les causes de la fuite » et offrir aux personnes expulsées d'Allemagne « des perspectives de rester et un avenir » dans leur pays d'origine. Les chiffres présentés sur l'impact de la mesure semblent époustouflants. Il n'est donc guère surprenant que le BMZ et la GIZ parlent d'un « succès total ». Conformément à ce discours, le site web de la GIZ présente des « success stories » de personnes qui ont trouvé un emploi avec l'aide de la GIZ après leur expulsion ou leur retour « volontaire » d'Allemagne – en Tunisie, mais aussi dans d'autres pays où les mesures du programme sont financées.
À ce jour, environ 860 000 mesures de soutien individuel ont été fournies dans le monde entier dans le cadre du programme, explique le porte-parole de la GIZ. Quelque 170 000 personnes ont trouvé un emploi et environ 68 000 mesures de réintégration ont été mises en œuvre pour les rapatrié:es. Rien qu'en Tunisie, près de 45 000 « mesures d'accompagnement individuel de préparation, d'insertion sociale ou de placement dans un emploi » ont été déployées depuis 2017. Plus de 2 000 personnes ont trouvé un emploi avec le soutien de « Perspektive Heimat », dont environ 80 rapatrié:es. Plus de 2 500 mesures de création d'entreprise ont été proposées, dont 140 pour les rapatrié:es (chiffres d'avril 2021). Cela étant, on ne sait toujours pas combien d'emplois existent encore aujourd'hui et combien de mesures de création d'entreprise ont effectivement permis aux bénéficiaires de gagner leur vie sans aide extérieure.
Alors que diverses approches de projet ont été financées et initiées dans le cadre de « Perspektive Heimat », le modèle des centres de conseil en matière de migration fait désormais figure de précédent. Le centre de Tunis géré par la GIZ et l'ANETI est loin d'être le seul de ce type à avoir été créé grâce à des fonds d'aide au développement allemands. Selon les chiffres du BMZ, il existe désormais un total de 17 centres de conseil dans douze pays, dont l'Albanie, le Kosovo, la Serbie, le Maroc, le Ghana, le Nigeria, le Sénégal, l'Afghanistan, l'Irak et l'Égypte.
Réalités déformées
Alors que la GIZ et l'ANETI se sont montrées tout à fait disposées à fournir des informations et ont autorisé une visite du centre à Tunis, les déclarations faites au cours des entretiens et d'un échange de courriels avec le siège de la GIZ à Eschborn restent résolument vagues. Un échange avec Uwe Kekeritz, membre du Bundestag allemand depuis 2009 et porte-parole pour la politique de développement du groupe parlementaire Bündnis 90/Die Grünen, renforce le soupçon que la GIZ a de bonnes raisons de s'abstenir de fournir des informations plus détaillées dans le cadre de son travail de relations publiques sur les centres de conseil. Uwe Kekeritz a visité plusieurs de ces centres, dont celui de Tunis. Il ne voit aucune raison de parler d'un « modèle réussi ». Selon lui, le travail du centre n'est « pas très convaincant », on ne sait pas dans quelle mesure le conseil aux personnes concernées conduit à une meilleure intégration effective sur le marché du travail. M. Kekeritz doute également des chiffres officiels sur les placements, la GIZ ne pouvant faire aucune déclaration sur la durée et la qualité des emplois placés. « Ils semblent plutôt chercher à donner une image déformée de la situation », a déclaré M. Kekeritz. « Sur place, on nous a présenté un rapatrié. Je me suis attendu à être le témoin d'une réussite exemplaire, qui devrait prouver à la fois la nécessité et le bon fonctionnement de la structure. Or, le centre n'avait fait qu'offrir à cet homme un emploi dans le magasin de légumes de sa propre famille. Il y a lieu de douter que la coopération allemande au développement soit nécessaire pour ce genre de placement », explique le député.
Alors que le porte-parole de la GIZ affirme que « Perspektive Heimat » crée « également des structures à long terme pour promouvoir le développement durable dans les pays partenaires », Kekeritz ne constate pas que des structures autonomes et durables sont créées par le biais du centre. Or, le centre de Tunis n'est évidemment pas un cas isolé. À Kekeritz de conclure après ses visites dans plusieurs de ces centres dans les pays africains : « Partout, il est apparu clairement que les programmes [en Allemagne, ndlr] étaient souhaités au niveau national, mais qu'ils n'étaient pas pérennes en termes de politique de développement. »
Les ancien:nes de la GIZ dressent un bilan dévastateur
Des critiques sévères à l'encontre des centres de rapatriement proviennent également des milieux de la GIZ eux-mêmes – mais uniquement sous couvert d’anonymat. En effet, tant le BMZ que la GIZ ont de facto muselé leur personnel. Néanmoins, medico a pu s'entretenir avec d'ancien:nes employé:es de la GIZ qui ont travaillé pour l'institution dans plusieurs pays et critiquent les programmes de rapatriement – dans certains cas très clairement. L'efficacité des projets n'est pas la seule à être remise en question. Au sein de la GIZ, d'aucuns se méfient également des stratégies poursuivies par la GIZ et des chiffres présentés. « Les objectifs cibles ont été indirectement fixés par le BMZ. Le BMZ veut obtenir certains chiffres afin de pouvoir présenter un taux de réussite de la réintégration des rapatrié:es », indique-t-on. « En termes de chiffres, c'est une farce, les statistiques n'ont aucun sens ».
Ce qu’on appelle « crise des réfugiés » de 2015 a modifié l'ensemble de l'appareil d'aide au développement. Aujourd'hui, tout ce que fait la GIZ doit absolument contribuer à réduire la « pression migratoire ». Une personne a trouvé des mots clairs : « Nous savons tous très bien que tous ces projets de réintégration sont inutiles. Ils restent lettre morte. On joue littéralement au théâtre quand on reçoit la presse. »
La rhétorique trompeuse de la GIZ
On peut en effet se demander si les programmes de promotion de l'emploi ou de réintégration conduisent réellement à une réduction de la « pression migratoire ». Kekeritz lui aussi, en doute: « Il n'y a rien de mal à aider les originaires des pays dits en développement à trouver un emploi. Cependant, tout cela n'a pas grand-chose à voir avec la migration. Il faut absolument se garder de donner l'impression que la volonté de migrer ou la réintégration de ceux ou celles qui sont rentré:es peuvent être influencées positivement en termes de politique de développement », déclare le député.
La GIZ devrait en fait être consciente de ce problème, puisqu'elle a elle-même commandé une étude en 2019 pour un usage interne uniquement. Cette étude s'intitule « A review of the evidence on employment promotion and mobility and implications for policy and practice » et est à la disposition de medico. L'objectif de cette étude était d'examiner la relation entre la promotion de l'emploi et la volonté de migration. Ce document de 75 pages indique clairement que la promotion de l'emploi n'a pas d'effet significatif sur la mobilité. On ne peut pas non plus « établir un lien de causalité entre la promotion de l'emploi et la dimension économique de la réintégration ». L'insuffisance des données et le manque de preuves ne permettent pas non plus de confirmer que la promotion de l'emploi réduit la volonté de migrer. Malgré ce verdict clair, la GIZ continue à affirmer publiquement le contraire.
« Que cela doit leur paraître cynique aux réfugié:es et aux migrant:es de se voir proposer un retour « volontaire » plus axé vers les intérêts domestiques de l'Europe que sur leur désir et leur droit à une vie autodéterminée, dans la dignité. Après avoir tout laissé derrière eux:elles, tant risqué et traversé de terribles épreuves. Les promesses grandioses d'une « réintégration » dans les conditions sociales à l'origine même de leur fuite et qui se sont le plus souvent détériorées depuis, doivent leur paraître comme une insulte. »
Sabine Eckart coordonne le travail de medico international sur les réfugiés et les migrations.