MALI

Retour au Mali : le choc est rude

L'UE déploie tous les efforts pour rendre plus difficile la migration vers et depuis le Mali et toute l'Afrique de l'Ouest. Et elle essaie de faire revenir les migrant:es là-bas. Le fait que les programmes de retour volontaire ne donnent aucune perspective aux Malien:nes est secondaire. Ils servent d'appât - et de feuille de vigne pour la politique défensive de l'Europe.

Stephan Dünnwald est ethnologue et a mené des recherches sur le retour et ses effets sur la société d'origine au Mali, au Cap-Vert et au Kosovo.

« L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a autorisé hier (4/06/2020) 179 Maliens qui étaient bloqués au Niger à rentrer volontairement. Les migrants attendaient dans les centres de transit de l'OIM à Niamey et Agadez depuis près de trois mois, les frontières ayant été fermées en raison du Covid-19. » L'événement communiqué ressemble presque à un sauvetage : des migrant:es ou des réfugié:es se sont retrouvé:es dans une situation désespérée, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) les en sort et les ramène en sécurité dans leur pays d'origine, grâce à un financement généreux de l'Union européenne (UE) dans le cadre de l'initiative conjointe UE-OIM. Certes,  ce cas de figure ou une situation similaire peut parfois exister et en effet, les réfugié:es sont souvent reconnaissant:es de l'aide qu'ils:elles reçoivent. Mais cela ne constitue qu'une partie de l'histoire.

Le Mali est un pays fortement marqué par la migration, une migration dans toutes les directions. À l’Ouest, les jeunes hommes vont travailler en France depuis le début de la colonisation, et depuis une vingtaine d'années, l'Espagne et l'Italie sont également des destinations intéressantes. Il y a des commerçant:es malien:nes en Chine et dans les pays du Golfe. Les États du Maghreb, en particulier la riche Libye, sont depuis longtemps non seulement des pays de transit mais aussi des destinations importantes de la migration en provenance du Mali. Le Congo-Brazzaville accueille des milliers de migrant:es issu:es du Mali et d'autres États d'Afrique occidentale. Et dans les États limitrophes, notamment en Côte d'Ivoire, au Sénégal, en Mauritanie ou même au Burkina Faso, il est difficile de dire qui vient d'où et qui vit où. Les groupes ethniques vivent au-delà des frontières, les familles vont et viennent entre Bamako (Mali), Abidjan (Côte d'Ivoire), Kayes (Mali), Nouadhibou (Mauritanie) ou Dakar (Sénégal). Dans le même temps, les conflits armés dans la région engendrent un nombre croissant de réfugié:es internes et internationaux:ales. L'Europe ferme ses frontières, la Libye est dirigée par des milices hostiles et marquée par une anarchie généralisée, l'Algérie et d'autres États du Maghreb sont aux prises avec une crise économique et un chômage important chez les jeunes. L'Union européenne et ses États membres soutiennent les efforts visant à contrôler et à limiter les migrations en Afrique de l'Ouest. La liberté de mouvement qui existait autrefois dans les États de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) est en train d'être criminalisée et réglementée. Partout, la pandémie aggrave le problème. Les temps ne sont pas propices à la migration.

Et pourtant : la migration reste le moyen d'échapper à la stagnation, au manque de perspective, à la pénurie omniprésente. Il existe des exemples de migration et de retour réussis. Des récits et des grands titres parlent de ceux qui ont réussi – et des autres, les « perdants ». Revenir les mains vides n'est pas seulement une honte sociale, mais aussi un échec économique dont peu se remettent. Beaucoup ont emprunté de l'argent, la famille a vendu des terres ou du bétail pour rendre le voyage possible. Puis, le:la migrant:e revient et tout le monde se retrouve sans rien. La vie déjà précaire au Mali l'est devenue un peu plus. Beaucoup ne supportent pas les reproches et les moqueries de la famille et fuient vers les villes, où ils vivent comme des étrangers dans leur propre pays.

Joint-venture pour rester

La page « Retour volontaire » de l'OIM vous guide d'un exemple réussi de réintégration à un autre. Grâce à l'initiative conjointe UE-OIM, il existe depuis 2016 un programme financé par l'UE et étendu à de nombreux pays africains. Il vise à aider les migrant:es bloqué:es sur le chemin de l'Europe dans leur retour dans leur pays d'origine, puis dans leur réintégration économique. À l'instar d'autres programmes visant à promouvoir le retour et la réintégration, « l'Initiative conjointe » fonctionne également assez mal. Les programmes de retour ont un trait commun : ils visent à empêcher les rapatrié:es de reprendre la route. C'est pourquoi le soutien n'est systématiquement accordé qu'en nature et après retour. Ainsi, celui ou celle qui ouvrir une boutique de tailleur doit trouver un magasin, acheter une machine à coudre et d'autres équipements, du tissu, des patrons, de l'électricité et toute une série de petites choses nécessaires à la boutique. Après approvisionnement, ces objets doivent être présentés à l'OIM (ou à d'autres bureaux tels que l'agence française des migrations OFII) (sous forme d'un contrat de location, d'un reçu pour les matériaux, ou d'une facture d'électricité), et ne sera remboursé que par la suite. On l'imagine sans peine : beaucoup de bureaucratie, de longs délais d'attente jusqu'au remboursement, qui n'a pas toujours lieu. Sans fonds propres, il est impossible de bénéficier de ce type d'aide. La perspective d'une entreprise à soi promise par l'industrie de l'aide au retour s'évapore. Les jolies photos de projets de retour réussis soignent les apparences des donateurs européens, mais la réalité au Mali et ailleurs est différente. Même ceux et celles qui reviennent avec le soutien de l'OIM finissent dans la misère.

Au mieux, un petit succès

Les agences et organisations qui encouragent le retour « volontaire » sont également confrontées à un dilemme. Au nom de l'UE, elles sont censées inciter et encourager les migrant:es à rentrer. Mais les incitations doivent rester dans des proportions adéquates afin de ne pas inspirer de nouveaux:elles migrant:es à tenter l'aventure. L'aide au retour devrait donc contribuer à la réussite, mais seulement un peu. La « joint-venture UE-OIM », par exemple, assure principalement le transport de migrant:es provenant de la Libye, de la Mauritanie ou du Niger où leur situation était désespérée, empêchant ainsi certain:es d'entre eux:elles d'embarquer sur les dangereux bateaux à destination d'Europe. Si le programme de retour est censé servir de feuille de vigne pour la politique défensive de l'Europe, cette feuille de vigne est toute petite. L'attrait du programme ne vient pas du fait qu'il est bien doté en ressources et constitue un soutien réel, mais du fait qu'il n'existe aucune autre alternative. L'UE continue de soutenir les « garde-côtes libyens », qui empêchent les bateaux de partir pour l'Europe ou interceptent les réfugié:es en Méditerranée pour les renvoyer dans des camps de torture libyens. En Libye, mais aussi en Algérie ou au Niger, l'OIM fait alors une offre qui ne peut être refusée. Lorsque la voie est bloquée et que le placement dans des camps et l'emprisonnement constituent le meilleur scénario possible dans le pays de transit, le retour dans le pays d'origine est beaucoup moins une décision volontaire qu'une question de survie. Le succès des programmes de retour ne se mesure pas à l’aune de la réussite des rapatrié:es. Le programme aboutit lorsque ces migrant:es ont été dissuadé:es de se rendre en Europe ou, faute de moyens, ne peuvent plus l'envisager.

Le rêve de Mamadou

Pour saisir la médiocrité de l'aide au retour en Europe, il faut chercher des exemples de retour réussi. Certains retours sont vraiment volontaires, certains retours volontaires sont vraiment réussis, même et surtout dans un pays aux traditions migratoires comme le Mali. Un homme, qui avait judicieusement investi l'argent qu'il avait gagné en France dans quelques terrains et un immeuble locatif dans la capitale malienne de Bamako, a pu faire fructifier ses revenus en construisant d'autres maisons et réaliser enfin son rêve de devenir marchand d'argent sur le Grand Marché de Bamako. Gravir l'échelle sociale mieux qu'il ne l'a fait est très difficile dans la société malienne. Certaines personnes y sont parvenues, sans parler des footballeurs et des pop stars. Mais elles passent souvent plus de temps à Paris qu'à Bamako. Mamadou Diakité est l'idole de toute une association de jeunes Malien:nes déporté:es du Maroc, d'Algérie ou d'Europe, dont la situation est aussi désespérée que celle des rapatrié:es « volontaires » du Niger aujourd'hui. Après la déportation, les jeunes ont fondé une association de déporté:es du district de Yanfolila (Association des Jeunes Réfoulés du Cercle Yanfolila) afin de lutter ensemble pour être reconnu:es et aussi pour être soutenu:es dans leur  réintégration, sans grand succès.

Mamadou vit à la campagne dans le sud du Mali. Depuis la ville provinciale de Yanfolila, il faut parcourir une vingtaine de kilomètres en mobylette en direction de la frontière guinéenne, puis, à l'écart du chemin, se trouve une cabane plate avec un toit ombragé en surplomb. La récolte est empilée sur des bâches : une montagne de grains de maïs, une montagne tout aussi grande de mil. Mamadou est très fier de la bonne récolte. Sous le toit, il raconte son histoire. Il vient de Kayes, dans l'ouest du Mali. Comme beaucoup de jeunes de cette région, il est parti en France pour travailler dans une usine. Après deux ans, il a déménagé en Suisse, a commencé à travailler dans un hôtel et gravi les échelons pour devenir directeur. Il a économisé, eu un bon salaire et décidé de rentrer au pays alors qu'il avait largement dépassé la cinquantaine. Il ne voulait pas se retrouver dans un hôtel dans un pays étranger, il voulait être fermier chez lui, avant d'être trop vieux. Il a donc cherché des terres dans le sud du Mali. Il a acheté des buffles pour travailler les champs et payé de jeunes travailleurs du village. Il possède une maison à Yanfolila, une autre dans la capitale Bamako. Mamadou se porte bien, les récoltes sont suffisantes. Quand je l'ai rencontré, il était proche de l'âge de la retraite. En tant que retraité, il recevra de la Suisse une pension mensuelle de 1 500 francs.

Les jeunes qui se sont regroupés pour former l'Association des Jeunes Refoulés du Cercle  Yanfolila ont vécu de différentes façons des coups durs après la déportation qui, comme pour les déporté:es nigérian:es actuel:les, a eu lieu en bus ou en avion. Certain:es ont plus de dettes qu'ils:elles ne peuvent rembourser en une vie, d'autres se remettent lentement sur pied. Aujourd’hui, la situation des rapatrié:es « volontaires » n'est pas très différente de celle de ces déporté:es. Ces jeunes ont également été en contact avec un programme gouvernemental censé soutenir les rapatrié:es. Or, beaucoup de promesses ont été faites pour très peu de résultats. À ce jour, rien n'a changé.

Ceux qui reviennent, sans succès, peut-être avec les maigres ressources de l'OIM, se retrouvent presque toujours dans leur situation initiale : dans une précarité qui paralyse tout mouvement, où se côtoient pauvreté, maladie et malheur. L'Union européenne, ses États membres et l'OIM souhaitent cette immobilité. La migration, en particulier la migration non autorisée, ne doit pas être une réussite, le retour ne doit pas ouvrir la possibilité de repartir. Bien que la migration devienne de plus en plus difficile et dangereuse, elle est toujours associée à l'espoir d'échapper à cette situation.

« On ment souvent aux gens et on leur fait du chantage pour qu'ils rentrent. Là réside un grand danger. On ne peut parler de retour « volontaire » en effectuant des campagnes de « sensibilisation » et d' « information », qui parfois équivalent à un lavage de cerveau. »

Ousmane Diarra, président de l'organisation autonome des déportés maliens Association Malienne des Expulsés (AME)

« Les réponses politiques globales doivent tenir pleinement compte du fait que la « réintégration » est, dans de nombreux cas, plus difficile que les tentatives initiales des personnes pour se faire une vie dans leur pays d'origine, de sorte qu'elles seront plus enclines à repartir. »

Jill Alpes, auteure de « Notfallrückführungen der IOM aus Libyen und Niger: Eine Schutzmaßnahme und Ursache neuer Schutzbelange? » (Les rapatriements d'urgence de l'OIM depuis la Libye et le Niger : une mesure de protection et la cause de nouvelles préoccupations en matière de protection ?).