L'aide au retour au lieu de l'expulsion : des alternatives discutables

Quels développements politiques sont à l'origine de la tendance à l'aide au retour, comment cette aide est-elle promue concrètement, et qu'est-ce que cela signifie pour les personnes qui sont encouragées à rentrer « volontairement » ? Sur les objectifs et le contenu du projet « Rückkehr-Watch ».

par Ramona Lenz et Nina Violetta Schwarz, directrices du projet de recherche et de documentation « Rückkehr-Watch ».

Pour celles ou ceux qui ont fui la guerre, la pauvreté ou l'absence de perspectives et risqué leur vie en chemin, rien ne compte plus que la sécurité et la paix. Mais au lieu de prêter attention aux expériences des réfugié:es et de traiter soigneusement leurs demandes d'asile, l'Europe leur fait de plus en plus fréquemment l'offre douteuse de partir « volontairement ». Souvent, alors que la procédure de demande d'asile est encore en cours. Ou encore, immédiatement après l'arrivée, de préférence même avant, « au stade le plus précoce possible du processus de migration », comme l’affirme le document d'orientation de l'UE « sur le retour volontaire et la réintégration » récemment publié. C'est aussi une question de coût : soutenir un retour dit volontaire est beaucoup moins cher qu'une expulsion. Et plus tôt quelqu'un part, plus on peut économiser de l'argent.

La politique de développement au service de la politique intérieure

Les programmes visant à promouvoir le retour volontaire et la réintégration ne sont pas nouveaux. Ils existent dans tous les États membres de l'UE, y compris l'Allemagne. Depuis 2015, cependant, le cours politique de l'isolement a été accéléré tant au niveau de l'UE que dans les États membres, et des efforts considérables ont été déployés pour favoriser le retour des personnes dans leur pays d'origine. Ainsi, le gouvernement allemand adopte de plus en plus de mesures restrictives à l'encontre des réfugié:es et des migrant:es dans le pays. Parallèlement, les investissements dans le retour « volontaire » sont de plus en plus importants. Dans son article, Valentin Feneberg examine en détail la mise en place de l'aide au retour en Allemagne et met en lumière son orientation sur la politique intérieure – ou, plutôt, le recours discutable aux fonds de la politique de développement aux fins de la politique intérieure. Depuis 2015, le retour et la réintégration sont de plus en plus financés par les ressources de la coopération au développement. L'initiative de retour commune du ministère fédéral de l'intérieur, de la construction et des affaires intérieures (BMI) et du ministère fédéral de la coopération économique et du développement (BMZ) vise à mettre en place un processus sans faille depuis le conseil au retour en Allemagne jusqu'à la réintégration dans le pays d'origine. Ainsi, la coopération au développement s'éloigne de plus en plus de l'accent qu'elle mettait auparavant sur la réduction de la pauvreté. Dans ce contexte, la GIZ met actuellement en œuvre pour le compte du BMZ le programme « Perspektive Heimat » dans 13 pays partenaires.

Depuis 2015, l’expression collective « combattre ou réduire les causes de fuite » est devenu une formule magique dans la coopération au développement. Elle couvre non seulement les investissements économiques et de développement à long terme dans les pays d'origine, de transit et d'accueil, mais aussi les mesures de protection des frontières et la promotion du retour et de la réintégration. Ici, la coopération au développement donne la priorité aux pays en provenance desquels un nombre relativement important de personnes se rendent en Europe. Ce faisant, elle se met au service de la politique intérieure et du contrôle des migrations et contribue ainsi à l'expansion du régime frontalier de l'UE. Mais pour l’UE, le nombre de rapatrié:es est encore trop faible. Pour rendre les mesures plus efficaces, l’Union introduit « un système de retour commun à l'UE » en impliquant davantage l'agence de protection des frontières Frontex. Elle élargit le mandat de Frontex afin que l'agence ne se contente plus de refouler les personnes à la frontière et d'assurer les expulsions, mais donne également des conseils sur le retour volontaire et les mette directement en œuvre.

« Rückkehr-Watch » – le projet

Le projet de recherche « Rückkehr-Watch » suit d'un œil critique la promotion du retour et de la réintégration. Il rassemble des articles de fond journalistiques et des positions politiques. Deux courts métrages et de nombreux récits et portraits de rapatrié:es décrivent les conditions cadres de l'aide au retour et montrent tant la diversité et que la complexité des expériences de retour et de réintégration. Avec des expert:es, nous discutons du contexte de la tendance à l'aide au retour, expliquons comment les programmes allemands d'aide au retour sont structurés et mis en œuvre dans les pays prioritaires, comment les personnes concernées vivent la demande et le conseil au retour, à partir de quelles situations complexes elles décident d'accepter les offres, et quelles difficultés elles rencontrent après leur retour. S'exprimeront des expert:es de Syrie, d'Allemagne, du nord de l'Irak, d'Afghanistan, du Maroc, de Tunisie, du Nigeria, d'Égypte et du Mali.

L'accent est mis sur les expériences des rapatrié:es du Maroc, d'Afghanistan, d'Irak et du nord de l'Irak, du Nigeria et du Mali. Ils montrent clairement que la promotion du retour volontaire et de la réintégration ne tient souvent pas compte du plein gré de l'intéressé:e, qui finit par accepter le retour en l'absence d'alternative. De nombreux:ses rapatrié:es se retrouvent dans leur pays d'origine face à des situations désespérées, voire menaçantes. En nous entretenant avec eux:elles, force est de constater que la décision de rentrer avec l'aide de programmes officiels n'a généralement rien à voir avec le volontariat. Ils:elles partent parce qu'ils:elles ne peuvent pas supporter l'incertitude ou parce que personne ne leur montre d'alternatives. Certain:es, par exemple, ne savent pas qu'un recours contre leur décision de rejet aurait de bonnes chances d'aboutir, comme dans le cas d'Adnan et Amira. L'avocat Maximilian Pichel souligne : « Le système du « retour volontaire » se base sur (...) des circonstances dans lesquelles les demandeurs:ses d’asile sont loin d'être pleinement informé:es de leur situation juridique. » D'autres, comme Hussein al-Māwardī de Bagdad, partent parce que leurs proches vont bientôt mourir et qu'ils:elles veulent les revoir ; ou, comme Khaled Rezaie  et Yousif Salman, parce que l'entrave massive de leur regroupement familial menace de les séparer définitivement de leurs enfants ou de leurs partenaires.

Échec systématique

Le manque de conseils impartiaux, qui ne préjugent pas de l'issue, déployés en même temps que des services publics de soutien en matière de retour, constitue un problème fondamental. Elise Bittenbinder, présidente de l'Association fédérale des centres psychosociaux pour réfugiés et victimes de la torture (BAfF), déclare dans une interview : « Les gens sont privés de ce dont ils ont le plus besoin, à savoir la protection et le soutien. » Ils partent parce qu'ils sont coincés dans des abris pour réfugiés, dans des conditions difficiles et pour une durée indéterminée. lls repartent aussi, comme Hasim et Tahmineh Jafarzadeh d'Erbil, parce qu'ils sont victimes de racisme. Dans un contexte de précarité du système d'asile, les centres de conseil adéquats se retrouvent face à un dilemme : « Les gens n'ont souvent aucune alternative s'ils veulent éviter l'expulsion, les meilleurs conseils n'y changeront rien : le manque d'alternatives tourne finalement toute aide à la décision psychosociale en dérision. » Dans les centres d'ancrage allemands,  dans les camps de la misère des îles grecques - comme le rapporte Valeria Hänsel - ou - comme le montrent les portraits du Mali - dans les camps de torture de Libye, les gens se voient contraints de rentrer « volontairement ». Contrairement à leur volonté. Mais ils ne peuvent plus supporter l'endroit où ils sont. C'est pourquoi Amoya Dassie et Nyima Kouyaté sont retournés respectivement en Libye et au Mali. Beaucoup acceptent de rentrer – souvent sous la pression – mettant même leur vie en danger, comme dans le cas dramatique d'Adnan et Amira. Ansar Jasim d'Adopt a Revolution et Abdul Ghafoor de l'Afghanistan Migrants Advice and Support Organization décrivent dans leurs contributions sur la Syrie et l'Afghanistan les graves conséquences que l'aide au retour peut avoir pour la personne et comment elle contribue également à la légitimation politique des déportations vers des zones de guerre.

Les articles spécifiques à l'Afghanistan, au Maroc, à la Tunisie, à l'Égypte, au Mali, à l'Irak et au nord de l'Irak, tout comme les portraits, montrent que sur le long terme les programmes de réintégration ne s'avèrent pas fructueux pour les personnes concernées, pour autant que ces dernières bénéficient effectivement des avantages promis. Certain:es, comme Hassan Al Mohamis d'Erbil, s'étaient vu conseiller de créer leur propre entreprise. Mais le plan d'entreprise élaboré dans le cadre d'un cours accéléré en Europe s'avère totalement inutile dans le pays d'origine. D'autres, comme Latifa Saouf , Benyounes Khattabi et Samir Ayadi, originaires du Maroc, attendent en vain que soient tenues les promesses des programmes de réintégration. L'histoire de Samuel Tosin Ayokunnumi, du Nigéria, montre que même en Allemagne, les règles sont parfois brisées brutalement : Il participait justement à des cours préparatoires de réinsertion, lorsqu'un matin, il est emmené de force par la police et contraint, sans explications, de prendre le prochain vol de déportation vers Lagos – pour le compte des autorités allemandes. 

Les auteur:es des articles par pays décrivent le travail des centres de conseil en matière de migration mis en place par la GIZ. En coopération avec l'agence nationale pour l'emploi, les rapatrié:es et les personnes désireuses de quitter le pays sont conseillé:es sur les perspectives d'emploi locales et la migration légale. Les articles sur les centres en Tunisie et au Maroc montrent que ceux-ci n'ont guère d'influence significative sur l'intégration à long terme dans le marché du travail local. Le journaliste Sofian Naceur à Tunis explique que la crise de la politique migratoire de 2015 a fondamentalement changé l'appareil d'aide au développement et que la GIZ est dorénavant chargée de contribuer à réduire la « pression migratoire » - un ancien employé de la GIZ qu'il a interrogé déclare : « Nous savons tous très bien que tous ces projets de réintégration sont inutiles. Ils restent lettres mortes. » Dans l'article de Julian Toewe, il apparaît clairement que même dans le nord de l'Irak – aucune autre région du monde n'a vu autant de personnes revenir « volontairement » d'Allemagne en 2019 – les programmes correspondent rarement aux réalités du terrain. Les idées de création d'entreprise développées en Allemagne, par exemple, s'avèrent trop souvent inutiles dans les contextes socio-économiques des pays d'origine.

Dans l'ensemble, les analyses et les rapports convergent vers un constat fondamental : le fait que les rapatrié:es ne désespèrent pas, ne disparaissent pas ou ne reprennent pas la route après leur retour « volontaire », n'est dû à une aide à la réintégration réussie de la part de l'Allemagne ou de l'UE que dans des cas exceptionnels. Dans la plupart des cas, c'est parce qu'ils:elles ont encore des contacts viables dans leur pays d'origine ou ont pu planifier leur retour longtemps à l'avance et en toute autonomie (voir le texte de Stephan Dünnwald sur le Mali). Une réalité qui ne concerne toutefois que très peu d'entre eux:elles.